samedi 6 décembre 2025

La course aux minéraux critiques met la planète en danger سباق المعادن الحرجة يعرّض الكوكب للخطر

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Johanna Sydow  et Nsama Chikwanka, Project Syndicate, 5/12/2025

Traduit par Tlaxcala

Johanna Sydow dirige la Division de politique environnementale internationale à la Fondation Heinrich Böll (Allemage).
Nsama Chikwanka est directeur national de Publish What You Pay Zambia.

Alors que les gouvernements affaiblissent les protections environnementales afin de promouvoir de nouveaux projets miniers, la ruée mondiale vers les minéraux critiques accentue les divisions sociales et endommage des écosystèmes vitaux. Seule une réduction de la consommation et la mise en place de règles robustes et contraignantes peuvent prévenir des dommages durables et protéger les droits humains fondamentaux.

Une vue des vestiges démantelés d’un camp de prospection aurifère illégal, « Mega 12 », lors d’une opération policière visant à détruire des machines et équipements illégaux dans la jungle amazonienne, dans la région de Madre de Dios, au sud-est du Pérou, le 5 mars 2019. – L’extraction illégale d’or en Amazonie a atteint des proportions « épidémiques » ces dernières années, causant des dommages aux forêts intactes et aux voies d’eau, et menaçant les communautés autochtones. Photo GUADALUPE PARDO / POOL / AFP via Getty Images

BERLIN – Le coût environnemental et humain de l’extraction minière apparaît chaque jour plus clairement – et de façon plus alarmante. Environ 60 % des cours d’eau du Ghana sont aujourd’hui fortement pollués en raison de l’exploitation aurifère le long des rivières. Au Pérou, de nombreuses communautés ont perdu l’accès à l’eau potable après l’assouplissement des protections environnementales et la suspension des contrôles réglementaires visant à faciliter de nouveaux projets miniers, contaminant même le fleuve Rímac, qui approvisionne la capitale, Lima.

Ces crises environnementales sont aggravées par l’approfondissement des inégalités et des divisions sociales dans de nombreux pays dépendant de l’industrie minière. L’Atlas mondial de la justice environnementale a recensé plus de 900 conflits liés à l’extraction minière dans le monde, dont environ 85 % impliquent l’usage ou la pollution des rivières, lacs et nappes phréatiques. Dans ce contexte, les grandes économies redéfinissent rapidement la géopolitique des ressources. Les USA, tout en tentant de stabiliser l’économie mondiale fondée sur les combustibles fossiles, s’efforcent également d’assurer l’approvisionnement en minéraux nécessaires aux véhicules électriques, aux énergies renouvelables, aux systèmes d’armement, aux infrastructures numériques et au secteur de la construction, souvent par le biais de pressions ou de tactiques de négociation agressives. Dans leur quête visant à réduire la dépendance à l’égard de la Chine, qui domine le traitement des terres rares, les considérations environnementales et humanitaires sont de plus en plus reléguées au second plan. 

L’Arabie saoudite cherche également à se positionner comme une puissance montante du secteur minier dans le cadre de ses efforts de diversification économique, nouant de nouveaux partenariats – y compris avec les USA – et accueillant une conférence minière très médiatisée. Parallèlement, le Royaume sape activement les progrès réalisés dans d’autres enceintes multilatérales, notamment lors de la Conférence des Nations unies sur le climat au Brésil (COP30) et dans les négociations préliminaires de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (UNEA7).

En Europe, des groupes industriels font pression pour une déréglementation accrue, tandis que des compagnies pétrolières comme ExxonMobil, TotalEnergies et Siemens recourent à des stratégies trompeuses pour affaiblir les nouveaux mécanismes destinés à protéger les droits des communautés vivant dans les régions productrices de ressources. Nous devrions nous inquiéter du fait que les entreprises et pays qui ont contribué au réchauffement climatique, à la dégradation de l’environnement et aux violations des droits humains cherchent désormais à dominer le secteur minier. Leur en donner l’occasion mettrait en danger l’ensemble de l’humanité, et pas seulement les populations vulnérables.

Les gouvernements ne doivent pas rester passifs. Ils doivent reprendre la main sur le principal moteur de l’expansion minière : la demande. Réduire la consommation de matériaux, en particulier dans les pays développés, reste le moyen le plus efficace de protéger les écosystèmes vitaux et de prévenir les dommages à long terme qu’entraîne inévitablement l’extraction.

Pourtant, malgré les preuves accablantes montrant que l’augmentation de l’extraction menace les ressources en eau et la sécurité publique, les gouvernements du monde entier affaiblissent les protections environnementales dans le but d’attirer les investissements étrangers, mettant ainsi en péril les écosystèmes qui soutiennent toute vie sur Terre. D’un point de vue économique, cette stratégie est profondément myope.

En réalité, des recherches récentes montrent que les pratiques responsables ne sont pas seulement moralement justifiées mais aussi économiquement judicieuses. Un nouveau rapport du Programme des Nations unies pour le développement, fondé sur cinq années de données provenant de 235 multinationales, révèle que les entreprises qui améliorent leur respect des droits humains tendent à mieux performer sur le long terme. Les gouvernements devraient donc se méfier des affirmations selon lesquelles la rentabilité exige la réduction des réglementations environnementales ou l’ignorance des droits humains. Lorsque les populations ne peuvent plus faire confiance aux responsables politiques pour protéger leurs droits, elles sont très susceptibles de résister – un conflit social qui finit par freiner les investissements. Le rejet du projet de mine de lithium Jadar de Rio Tinto en Serbie en est un exemple frappant. Beaucoup de Serbes estimaient que leur gouvernement privilégiait les intérêts des entreprises en faisant avancer un projet qui ne respectait même pas des normes minimales de durabilité. L’indignation publique a interrompu son développement et entraîné des pertes importantes pour l’entreprise.

Seuls des cadres juridiques robustes, assortis d’une application efficace, peuvent créer les conditions d’un développement stable et respectueux des droits. Cela implique de protéger les droits des peuples autochtones ; de garantir le consentement libre, préalable et éclairé de toutes les communautés concernées ; de préserver les ressources en eau ; de mener une planification territoriale incluant des zones interdites à l’exploitation ; et de réaliser des évaluations sociales et environnementales indépendantes, participatives et transparentes.

Compte tenu des tensions géopolitiques croissantes, les forums multilatéraux comme la COP et l’UNEA restent essentiels pour contrer la fragmentation mondiale et promouvoir des solutions communes. Les pays riches en minéraux devraient collaborer pour renforcer leurs normes environnementales, à l’image des pays producteurs de pétrole qui influencent conjointement les prix mondiaux. Par une action collective, ils peuvent empêcher une course destructrice au moins-disant et garantir que les communautés locales – en particulier les peuples autochtones et autres détenteurs de droits – puissent faire entendre leur voix.

À une époque où l’accès à l’eau potable se raréfie, où les glaciers fondent et où l’agriculture est de plus en plus menacée, une action internationale coordonnée n’est plus facultative. La résolution que la Colombie et Oman ont présentée pour l’UNEA de décembre, appelant à un traité contraignant sur les minéraux, représente une étape importante vers des normes mondiales plus équitables. Lancée par la Colombie et co-parrainée par des pays comme la Zambie, qui connaissent trop bien les coûts des industries extractives, la proposition appelle à une coopération sur l’ensemble de la chaîne de production minérale afin de réduire les dommages environnementaux et de protéger les droits des peuples autochtones et des autres communautés concernées. En plaçant la responsabilité sur les pays consommateurs de ressources, elle vise à garantir que le fardeau de la réforme ne repose pas uniquement sur les économies productrices de minéraux. Elle aborde également les dangers liés aux résidus miniers et aux barrages de retenue, qui ont provoqué des effondrements dévastateurs et fait des centaines de morts.

Ensemble, ces mesures offrent une rare opportunité de commencer à corriger les inégalités qui ont longtemps caractérisé l’extraction minière. Tous les pays – en particulier les producteurs de minéraux historiquement exclus des négociations – devraient saisir cette occasion. L’UNEA7 ouvre une fenêtre pour instaurer une justice dans le domaine des ressources.

vendredi 5 décembre 2025

Maroc : la CAN ravive les fractures sociales

 , Afrique XXI, 4/12/2025

Le 21 décembre, le royaume accueille la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Il y a quelques semaines, une partie de sa jeunesse dénonçait dans la rue le coût social de cette compétition, qu’elle considère comme superflue comparée aux urgences sociales du pays.


Manifestation de la GenZ212 à Rabat, au Maroc (octobre 2025). © Mounir Neddi/Wikimedia

« La meilleure Coupe d’Afrique de l’histoire. » C’est la promesse prononcée par Patrice Motsepe, président de la Confédération africaine de football (CAF) début octobre, alors que le Maroc, pays-hôte, se retrouvait englué dans le plus important mouvement de contestation sociale depuis le Hirak dans la région du Rif en 2016. Des milliers de jeunes appartenant à la Génération Z ont alors investi la rue marocaine pour demander « la fin de la corruption, la dignité et la justice sociale ».

Dans leur ligne de mire également, les mégaprojets d’infrastructures sportives destinés à accueillir, en décembre, la Coupe d’Afrique des nations (CAN), prologue de la Coupe du monde de 2030, organisée conjointement avec l’Espagne et le Portugal, mais aussi l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay pour les premiers matchs de la phase de poules.

« Nous voulons des hôpitaux aux normes de la FIFA », pouvait-on lire sur une pancarte brandie lors d’une de ces manifestations. Le mouvement de contestation est né dans la foulée d’un scandale sanitaire à Agadir, ville touristique située à 550 kilomètres au sud de la capitale Rabat. En août, huit femmes ont perdu la vie dans des conditions désastreuses après avoir été admises pour des césariennes à la maternité de l’hôpital local.

Pour Rabat, l’organisation du Mondial 2030 – mais avant cela, de la CAN 2025 – est l’occasion rêvée de justifier les milliards d’euros dépensés pour la transformation de son réseau de transport et de son offre touristique. L’Office national des chemins de fer (ONCF) a annoncé l’extension de la ligne à grande vitesse (Casablanca-Tanger) jusqu’à Marrakech, tout en augmentant spectaculairement la capacité de ses lignes classiques. Les aéroports internationaux du royaume devraient doubler leur capacité d’accueil avec notamment la création de nouveaux terminaux à Rabat et à Casablanca. Pour ce qui est des autoroutes, le gouvernement a fixé l’objectif d’ici 2030 à 3 000 kilomètres, contre 1 800 kilomètres actuellement.

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jeudi 4 décembre 2025

« La famille d’abord » : quand les marchés publics deviennent des affaires privées

actu-maroc, 3/12/2025

Des révélations troublantes émergent des fuites de rapports établis par les commissions d’inspection relevant des Cours régionales des comptes dans plusieurs régions du Royaume du Maroc, notamment Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra, Marrakech-Safi et Fès-Meknès. Ces documents mettent au jour l’implication de collectivités territoriales dans de véritables « marchés familiaux », en violation flagrante des dispositions du cadre légal régissant les conflits d’intérêts. 


Selon les informations recueillies, des présidents de communes et des élus auraient contourné les prescriptions de la loi organique n°113.14 relative aux communes ainsi que la circulaire du ministère de l’Intérieur sur la prévention des conflits d’intérêts, en attribuant des marchés publics à des entreprises créées au nom de leurs enfants, conjoints ou proches. Les magistrats financiers ont, lors de missions d’audit portant sur des dizaines de communes, repéré des transactions financières suspectes associées à des sociétés bénéficiant de marchés « taillés sur mesure ». Les enquêtes ont notamment mis en évidence des incohérences entre les signatures des dirigeants apparents et celles des véritables propriétaires, ainsi que des mouvements bancaires contraires aux règles de conformité interbancaire. 

Les rapports font également état de l’octroi de marchés à des entreprises ne disposant pas des prérequis fondamentaux de la personnalité morale et des capacités techniques requises. Dans certains cas, des communes ont contracté pendant des années avec les mêmes sociétés, tandis que certains élus auraient créé des entités au nom de membres de leurs familles afin de contourner le cadre juridique du conflit d’intérêts, voire de se livrer à des opérations de spéculation foncière sous couvert de légalité. 

Par ailleurs, les inspections ont concerné l’examen du respect de la circulaire n°2590 signée par le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, relative au système de qualification et de classement des entreprises de travaux publics. Plusieurs conseils élus auraient omis d’exiger les certificats d’habilitation des entreprises avant l’ouverture des plis, autorisant ainsi la participation de sociétés ne présentant ni garanties techniques ni financières, et favorisant l’utilisation de structures écrans opérant en sous-traitance systématique. 

Les magistrats ont également scruté les dépenses de fonctionnement et d’équipement, les marchés d’études, l’acquisition de matériel, les factures de gestion administrative, de carburant et d’entretien des parcs automobiles, ainsi que les contrats liés aux réseaux de télécommunications, à l’eau, à l’électricité et aux équipements informatiques. 

Une attention particulière a été portée aux marchés de propreté, dont certains ont été refusés par les autorités de tutelle en raison de coûts jugés disproportionnés par rapport aux prestations offertes. 

Enfin, les rapports dénoncent le non-respect des directives ministérielles appelant à l’austérité budgétaire dans le contexte de crise actuelle. Plusieurs présidents de communes auraient ignoré ces orientations, lesquelles recommandaient de prioriser les dépenses obligatoires, notamment les salaires des fonctionnaires et des agents occasionnels, les charges de l’eau, de l’électricité et des télécommunications, les loyers ainsi que les échéances des emprunts contractés par les collectivités.

mercredi 3 décembre 2025

À Alger, un “grand procès” du colonialisme pour demander justice et réparations

Une conférence panafricaine était organisée ces 30 novembre et 1er décembre à Alger. Son ambition : créer un cadre juridique africain et pérenne qui porterait, de façon unifiée, les revendications de reconnaissance et de réparations liées à la période coloniale.

Un mémorial commémore le génocide des Herero et des Nama (1904-1907) perpétré par les troupes coloniales allemandes au cœur de Windhoek, la capitale namibienne. Photo Jürgen Batz/DPA
La Conférence internationale sur les crimes coloniaux en Afrique, la première du genre sur le continent, entendait encadrer les réparations liées à la colonisation européenne. Les 30 novembre et 1er décembre à Alger, des délégations rassemblant officiels, historiens, juristes africains ont ainsi débattu des héritages culturels, économiques, environnementaux et juridiques du colonialisme.
Il s’agit là, affirme Tout sur l’Algérie (TSA), du “grand procès” du colonialisme en Afrique qui, avec la participation d’une quarantaine de pays, entend créer “une plateforme de dialogue”, “consolider la reconnaissance internationale des crimes coloniaux et […] promouvoir des mécanismes concrets de réparation”.
Signe que la colonisation européenne n’est pas considérée comme appartenant à une époque révolue, la conférence a souhaité également “criminaliser le colonialisme, l’esclavage, la ségrégation raciale et l’apartheid”, et les classer comme crimes contre l’humanité.
Cette conférence a débouché sur la “déclaration d’Alger”, laquelle sera soumise en février 2026 au sommet de l’Union africaine (UA), sous l’égide de laquelle elle était placée, indique TSA dans un autre article.
La Déclaration d'Alger a appelé à la proclamation de la journée du 30 novembre “Journée africaine d’hommage aux martyrs et victimes de la traite transatlantique, de la colonisation et de l’apartheid”, sur la base d'une proposition faite par le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune.

Créer un mécanisme africain permanent

Selon le quotidien francophone algérien L’Expression, proche des autorités, plusieurs dossiers ont été examinés. À commencer par “les spoliations économiques massives qui ont structuré – et structurent encore – les relations entre l’Afrique et l’Occident”. Un lien entre passé et présent constamment perceptible dans les sujets abordés à Alger.
Dans un contexte de course mondiale aux matières premières, est notamment visée l’extraction des matières premières africaines “à des prix dérisoires jusqu’aux accords commerciaux asymétriques de l’ère postcoloniale, en passant par le pillage systématique des ressources naturelles (or, diamants, cuivre, uranium, pétrole, bois précieux)”.
Autre point abordé, les crimes environnementaux, notamment avec les essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien (1960-1966) et, au-delà de l’Afrique, en Polynésie. Mais aussi les essais britanniques en Australie et dans le Pacifique, ainsi que la pollution causée par l’exploitation minière et pétrolière.
Enfin, la conférence s’est attachée à créer un mécanisme africain permanent “chargé de coordonner les demandes de réparations, de gérer les processus de restitution du patrimoine et de préserver la mémoire collective”. Ce mécanisme devrait servir de plate-forme unifiée pour porter les revendications africaines dans les instances internationales, précise le titre algérien.
Pour résumer, indique TSA, la conférence entend obtenir des ex-puissances coloniales comme la France, l’Allemagne, la Belgique et l’Italie la reconnaissance officielle des crimes coloniaux, la criminalisation internationale du colonialisme, les réparations et la restitution des biens pillés.

Une mémoire coloniale persistante

Cette conférence a donné lieu à des commentaires de la presse africaine et internationale. Le site marocain Yabiladi estime ainsi qu’elle a surtout servi de tribune aux autorités algériennes dans leur défense des positions du Polisario et du Sahara occidental.
En effet, indique le quotidien britannique The Guardian, cette conférence a également été l’occasion pour Alger de présenter le cas de ce territoire, considéré comme non autonome par l’Organisation des Nations unies (ONU), comme l’exemple d’une décolonisation inachevée. L’Algérie reprend ainsi la position officielle de l’Union africaine, alors même qu’un nombre croissant d’États africains et occidentaux se sont ralliés à celle du Maroc.
De son côté, la presse kényane, à l’instar de Kenyan Foreign Policy, rappelle la dimension panafricaine de l’initiative, cette conférence tenue à Alger étant organisée dans la continuité de la décision de l’Assemblée de l’UA, adoptée en février dernier à Addis-Abeba. Cette dernière avait alors approuvé la création d’une plateforme dévolue à la “justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine par le biais de réparations”.
Quoi qu’il en soit, la conférence s’inscrit dans un mouvement plus large de retour mémoriel sur les conséquences actuelles du colonialisme pour les pays décolonisés. Ainsi, souligne le Guardian, cette même réflexion est menée par des pays des Caraïbes qui, début novembre, ont porté des demandes de réparations et de reconnaissance des crimes coloniaux devant les autorités britanniques.

De la même façon, ces dernières années, les États africains ont intensifié leurs demandes de restitution des objets pillés qui sont encore conservés dans les musées européens.

 

 Déclaration d’Alger sur les crimes coloniaux : des propositions pour la justice et la mémoire

Ce texte ambitionne de devenir une référence continentale pour la codification des crimes coloniaux et pour l’élaboration d’une stratégie africaine de vérité, de justice et de réparations.

Dès ses premières lignes, la Déclaration d’Alger appelle les anciennes puissances coloniales à « assumer pleinement leurs responsabilités historiques à travers la reconnaissance publique et explicite des injustices commises ». Pour les participants, cette reconnaissance constitue une condition essentielle au dialogue et à la réparation des préjudices subis par les peuples africains.

Parmi les principales recommandations figure la création « d’archives numériques panafricaines », un projet destiné à préserver et rendre accessibles les documents relatifs à l’histoire coloniale.

Le texte préconise également «la redéfinition des curricula éducatifs » pour y intégrer de manière plus complète les périodes précoloniales, coloniales et postcoloniales, plaidant aussi pour «la mise en place de mémoriaux, musées et journées de commémoration », considérés comme des outils indispensables pour transmettre l’histoire et renforcer la conscience collective.

Les participants recommandent en outre «la mise en place de Commissions nationales de vérité et réparations » dans les Etats membres de l’Union africaine (UA). Ces instances seraient chargées de documenter les violations historiques, d’accompagner les démarches judiciaires et de garantir «la responsabilisation juridique et morale pour les crimes coloniaux et leurs conséquences durables ».

La Déclaration appelle par ailleurs à renforcer les mécanismes juridiques nationaux, régionaux et internationaux afin de promouvoir «la codification de la criminalisation de la colonisation dans le droit international » et d’assurer «la restitution intégrale des archives ». Un autre point-clé du document concerne la création « d’un Comité panafricain de la Mémoire et de la Vérité historique ».

Ce comité aurait pour mission « d’harmoniser les approches historiques, superviser la collecte des archives, coordonner les centres de recherche africains et produire des analyses et recommandations » destinées aux autorités et institutions du continent.

La Déclaration insiste aussi sur l’importance d’élargir les initiatives de commémoration. Les signataires appellent ainsi à « l’expansion des initiatives de commémoration continentales et nationales », incluant musées, monuments, lieux de mémoire, Journées commémoratives et réformes éducatives visant à mieux ancrer l’histoire coloniale dans l’espace public.

Un volet majeur est consacré à l’impact écologique du colonialisme. Les participants soulignent «la nécessité d’établir une évaluation continentale de l’impact écologique et climatique du colonialisme », ainsi que des besoins de réhabilitation des territoires affectés par les expérimentations nucléaires, chimiques et industrielles.

Ils soutiennent également « l’établissement d’une plateforme africaine de justice environnementale », chargée de recenser les zones touchées et de formuler des recommandations pour leur réhabilitation. Les anciennes puissances coloniales sont exhortées à « assumer leurs responsabilités morales et politiques » et à fournir un soutien financier, technologique et institutionnel aux efforts d’adaptation menés par les pays africains.

Sur le plan éducatif, la Déclaration affirme «la nécessité impérieuse de réformer les systèmes éducatifs africains » afin d’y intégrer pleinement l’histoire générale du continent.

Elle encourage les universités à créer des formations et diplômes consacrés à « la Mémoire, la vérité, la justice historique et le droit aux réparations », ainsi qu’une plateforme continentale dédiée aux chercheurs spécialistes du colonialisme. La restitution du patrimoine culturel constitue également un axe important.

Le texte réaffirme le droit des peuples africains à la « restitution inconditionnelle des ressources culturelles», comprenant artefacts, manuscrits, archives, objets sacrés et restes ancestraux emportés durant la période coloniale.

Enfin, la Déclaration d’Alger insiste sur « l’engagement d’un audit continental » évaluant l’impact économique du colonialisme. Cet audit doit mener à une stratégie de réparations incluant « des compensations pour les richesses pillées, l’annulation de la dette et un financement équitable du développement ».

Les signataires appellent aussi à une réforme profonde de l’architecture financière internationale afin de démanteler « l’héritage colonial » toujours présent dans les institutions économiques mondiales. Le document sera soumis au Sommet de l’Union africaine de février 2026 pour examen et adoption.

mardi 2 décembre 2025

Esclavage moderne en vitrine : le cri de détresse de Rachid, boulanger marocain, sur TF1

 Salma Semmar, actu-maroc, 2/12/2025

Sous les lumières de TF1, c’est un visage fatigué mais digne qui est apparu dimanche soir dans l’émission « Sept à huit ». Celui de Rachid, boulanger marocain installé en Eure-et-Loir, venu raconter quatre années d’exploitation et d’illusions brisées. Un témoignage rare, qui met en pleine lumière la réalité des travailleurs sans papiers en France, souvent indispensables mais invisibles.


Arrivé en 2020 après plus de vingt ans de métier au Maroc, Rachid croit alors saisir une chance : un poste en boulangerie, un logement, la promesse d’une future régularisation. L’offre lui parvient via un groupe d’entraide WhatsApp, comme pour beaucoup de travailleurs migrants qui se fient au bouche-à-oreille. À l’autre bout du fil, son futur patron, Anthony M., tient un discours séduisant… mais refuse déjà de parler salaire, comme le révèlent les enregistrements audio diffusés par TF1.

La réalité, une fois sur place, est tout autre. Le laboratoire est insalubre, les normes d’hygiène sont bafouées, des rats circulent, la chaîne du froid n’est pas respectée. Rachid, lui, accepte de rester. Il se persuade que le travail finira par payer et qu’un contrat stable lui ouvrira les portes de la préfecture. Au bout de trois mois, il obtient enfin un contrat… de vingt heures. Sur le papier seulement : dans les faits, il travaille sept jours sur sept, y compris malade, sans compter ses heures.

Les conditions de vie sont à l’avenant. Logé au-dessus du commerce, sans bail ni protection, il occupe ce qu’il décrit comme « une chambre qui ressemble à une cave » : pas de chauffage, vitres cassées, cafards, humidité, cartons et matériel entassés autour de son lit. Cet hébergement de fortune permet aussi à l’employeur de le faire descendre à n’importe quelle heure pour « donner un coup de main », brouillant totalement la frontière entre temps de repos et temps de travail.

Lorsque la boulangerie commence à décliner, la situation bascule. Les salaires ne sont plus versés régulièrement, puis cessent purement et simplement d’être payés. Le commerce finit par fermer. Pour Rachid, tout s’effondre : pas de contrat, pas de ressources, pas de papiers, et seulement 500 euros en poche après quatre ans de labeur. Coupé de sa femme et de ses enfants restés au Maroc, qu’il n’a pas vus depuis cinq ans, il confie à la caméra avoir eu des pensées suicidaires face à cette impasse.

C’est une association d’aide aux travailleurs migrants qui va lui tendre la main. Conseillé et accompagné, Rachid décide de porter plainte pour traite d’êtres humains, qualification pénale qui vise notamment l’exploitation par le travail dans des conditions indignes. Placé en garde à vue, l’employeur conteste tout en bloc devant les journalistes : il se dit « la plus grande victime » de cette histoire, assure que son salarié ne travaillait que quatre heures par jour et jure ignorer sa situation irrégulière. Une version mise à mal par un document clé : une lettre de motivation adressée à la préfecture, signée de sa main, dans laquelle il appuie la demande de régularisation de Rachid.

Le reportage s’inscrit dans un numéro de « Sept à huit » consacré aux « travailleurs de l’ombre », ces sans-papiers omniprésents dans l’agriculture, le bâtiment, la restauration ou la boulangerie, sans lesquels certains secteurs tourneraient au ralenti. Il rappelle que des affaires similaires ont déjà conduit à des condamnations pour traite d’êtres humains en France, notamment dans la restauration ou les exploitations agricoles, où des travailleurs marocains ont été employés dans des conditions qualifiées d’« indignes » par la justice.

Au Maroc, le récit de Rachid résonne tout particulièrement. Il illustre le parcours de milliers de travailleurs qualifiés qui, après des années d’expérience dans leur pays, partent tenter leur chance en Europe avec l’espoir d’un avenir meilleur pour leur famille. Le cas de ce boulanger expérimenté, réduit à vivre dans un logement insalubre et privé de salaire, rappelle cruellement combien cet espoir peut parfois se transformer en piège.

L’enquête judiciaire suit son cours. Mais, au-delà du sort de Rachid et de la responsabilité de son ex-employeur, ce témoignage pose une question dérangeante : combien de boulangers, de serveurs, d’ouvriers du bâtiment ou de saisonniers agricoles vivent, en silence, la même réalité ? Dimanche soir, le visage de Rachid a donné un nom à cette misère cachée. Et rappelé que derrière chaque baguette croustillante vendue à l’aube, il y a parfois l’histoire d’un homme venu de loin, prêt à tout pour gagner dignement sa vie… mais que le système laisse sans défense.

lundi 1 décembre 2025

Autodétermination et respect du processus de décolonisation du Sahara Occidental !
Résolution finale de la 49ème Conférence EUCOCO

 La 49ᵉ Conférence EUCOCO en soutien à la lutte du peuple sahraoui pour son droit inaliénable à l’autodétermination et à son émancipation coloniale pour l’indépendance s’est tenue les 28 et 29 novembre 2025 à Paris en France à un moment déterminant de l’histoire de la lutte menée par le peuple du Sahara Occidental sous la conduite du Front Polisario.


En présence d’une importante délégation sahraouie conduite par le Premier ministre de la RASD, M. Buchraya Bayun, la Conférence a constitué un moment majeur de solidarité internationale. Plus de 280 participants et de participantes de nombreux pays et continents y ont pris part : délégations institutionnelles, responsables politiques, parlementaires, associations et comités de solidarité, organisations syndicales et collectifs engagés. Une importante délégation algérienne s’est jointe à nos travaux, malgré le refus de visas par les autorités consulaires françaises.

Le choix de tenir cette conférence à Paris, pour partie à l’Assemblée Nationale, pour partie à la Bourse du Travail avant de se terminer par un rassemblement symbolique sur la Place de la République, se veut l’occasion d’appeler les autorités françaises à ne pas faire obstacle à la libre expression du peuple sahraoui à son droit inaliénable à l’autodétermination et à la décolonisation. La France se doit de défendre haut et fort au sein des institutions européennes, du Conseil de sécurité de l’ONU et de son Assemblée générale les règles du droit international et les droits fondamentaux du peuple sahraoui. Avec l’Espagne, elle peut amener le Maroc à mettre fin à son occupation coloniale du Sahara Occidental et contribuer ainsi à la relance du Maghreb comme ensemble de peuples ayant une destinée commune de coexistence pacifique et de développement et ainsi construire un partenariat exemplaire tant avec l’Europe qu’avec l’Afrique.

La Conférence a pris connaissance de la résolution 2797 du Conseil de sécurité de ce 31 octobre 2025 et dénonce l’interprétation tapageuse qu’en a fait le Maroc. Cette résolution confirme le mandat de la MINURSO, reconnaît le Front Polisario seul représentant du peuple du Sahara Occidental et dit clairement que l’Onu se doit de « parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable permettant l’autodétermination du peuple du Sahara occidental conformément aux principes et objectifs de la Charte des Nations Unies. Beaucoup de bruit pour rien car, quelques jours avant, le 16 octobre, la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale adoptait une résolution réaffirmant le statut juridique du Sahara Occidental et la responsabilité de l’ONU envers le peuple sahraoui en matière de décolonisation. Le front Polisario transmettait pour sa part, le 21 octobre, « une proposition élargie » très élaborée permettant d’entrevoir les possibilités de coexistence et de coopération entre l’Etat sahraoui indépendant et le Maroc. Maroc qui, entretemps, dans le cadre des « accords d’Abraham » avec Israël, autre puissance coloniale occupant et martyrisant les Palestiniens, se fournit en armes et drones tueurs à l’encontre des populations sahraouies dans les territoires qu’il occupe.

La Conférence dénonce les manœuvres dilatoires de la Commission Européenne qui tente d’imposer un accord de partenariat avec le Maroc, contraire à l’arrêt de la Cour Européenne de Justice, celle-ci ayant, voici un an, annulé les accords commerciaux sur la pêche et l’agriculture pour non-respect du droit européen en raison de l’absence évidente de consentement du peuple sahraoui dans une logique coloniale favorable à l’occupant marocain et aux firmes agro-exportatrices. La conférence exprime sa satisfaction de constater qu’une large majorité de parlementaires européens ont dénoncé et condamné la Commission ce 26 novembre. L’EUCOCO se tient aux côtés des syndicats paysans qui ont mené campagne pour dénoncer ces manœuvres de la Commission qui sont d’ailleurs contraires aux intérêts de ses citoyens et repose sur un modèle commercial néolibéral dépassé et destructeur de l’environnement. L’EUCOCO travaillera avec le Front Polisario soucieux de la défense des intérêts du peuple sahraoui dans la protection de ses richesses naturelles et l’établissement d’un cadre commercial euro-africain basé sur la solidarité et la souveraineté alimentaire au bénéfice de toutes les populations.

Face à la persistance de violations massives des droits humains par le Maroc, la Conférence exige la libération immédiate de tous les prisonniers politiques sahraouis et l’accès des observateurs et organisations internationales aux territoires occupés. L’EUCOCO apporte son soutien aux familles des prisonniers et à ceux et celles qui manifestent au quotidien leur opposition à l’occupant marocain et aux colons. La conférence dénonce l’interdiction faite par le Maroc de l’accès aux territoires sahraouis occupés pour les observateurs internationaux, les avocats, les délégations de parlementaires.

La conférence dénonce les manquements graves dont souffrent les populations refugiées dans les campements de Tindouf en égard aux standards internationaux. Elle soutien l’appel pour un accroissement substantiel à hauteur de 177 millions de dollars lancé par 27 organisations onusiennes et ONG le 21 novembre à Alger.

La Conférence a été précédée cette année des réunions de travail des ateliers thématiques (politique et information, consolidation de l’État sahraoui, droits humains et ressources naturelles), ainsi que des rencontres parlementaires, syndicales et des juristes dont les conclusions et les programmes sont annexés à la présente déclaration.

Les travaux parlementaires, syndicaux et les ateliers thématiques ont permis d’élaborer un vaste programme de mobilisation en faveur du respect du droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination, conformément aux résolutions pertinentes de l’ONU, notamment les résolutions A.G. 1514 (XV) et 34/37.

La Conférence approuve les conclusions des ateliers « Politique et Information », « Droits humains et ressources naturelles », « Consolidation de l’État sahraoui » et « Contacts avec les syndicats ». Ces ateliers visent à renforcer la visibilité internationale de la cause sahraouie et à porter la voix du Front Polisario dans l’espace politique et médiatique européen, grâce à une communication résolument politique, fondée sur des interventions régulières, une présence constante dans les débats internationaux et la mise en avant de la résistance sahraouie. La mobilisation de la jeunesse est identifiée comme un axe essentiel.

La conférence EUCOCO appelle à une large mobilisation publique en Europe pour les 50 ans de l’occupation, ainsi qu’au renforcement des alliances, notamment avec les luttes des peuples colonisés. Les comités de soutien réaffirment les priorités politiques : organisation du référendum, cessation du pillage des ressources naturelles, dénonciation des violations des droits humains par les forces d’occupation marocaines et mise en lumière de la responsabilité de l’Espagne, de la France et des États-Unis.

Un programme de consolidation de l’État sahraoui est adopté dans les domaines social, économique et territorial. Les priorités pour 2026 incluent la mise en œuvre du système d’incitations, l’augmentation de l’aide internationale et l’organisation de Conférences des Villes Solidaires.

L’ensemble des programmes arrêtés durant cet EUCOCO seront l’occasion de commémorer les 50 ans de la lutte du peuple sahraoui pour le respect de ses droits fondamentaux.

La 50ᵉ conférence EUCOCO se tiendra à Madrid en 2026, lieu symbolique de la résistance sahraouie.

Vive la lutte du Peuple Sahraoui conduite par le Front Polisario,
Vive la RASD,
Vive la solidarité internationale

Paris, 29 novembre 2025

dimanche 30 novembre 2025

Didier Folléas : “Jusqu’à sa disparition, Abderrahim Berrada a maintenu ses convictions”

Figure majeure des droits humains au Maroc, Abderrahim Berrada a laissé une parole riche et profonde pour comprendre les années de plomb et les combats démocratiques. À l’approche de la parution, le 10 décembre, de Paroles libres pour l’Histoire, Didier Folléas, auteur de l’ouvrage et interlocuteur privilégié de Me Berrada durant près de vingt ans, revient sur l’itinéraire d’un avocat resté fidèle à ses convictions et à sa conception exigeante de la justice et de la liberté.

 Jade Abanouas, Maroc-Hebdo, 28/11/2025

Parmi les militants de sa génération, beaucoup se sont battus pour les libertés et la justice. Pourquoi Abderrahim Berrada se distinguait-il si nettement dans ce combat pour les droits humains et l’État de droit, et qu’est-ce que cet homme vous inspire, à vous, personnellement ?


Je commencerai par la fin de votre question. J’ai rencontré Abderrahim Berrada peu de temps après mon arrivée à Casablanca, en 1987. Je connaissais peu de choses sur le Maroc, ce pays m’a fasciné et j’ai éprouvé le besoin d’en apprendre beaucoup plus. Le hasard m’a d’abord fait connaître Adil Hajji, brillant intellectuel qui m’a mis en contact avec Me Berrada. J’ai été très impressionné par sa culture, son parcours personnel, son courage en tant qu’avocat, par son sens de la dignité de l’être humain et son exigence de justice. De ces rencontres est née l’idée d’un livre d’entretiens. Je tiens d’ailleurs à préciser que feu Abderrahim Berrada en est l’auteur principal. Je n’ai fait que recueillir ses propos avec toute sa confiance et sans renoncer à mon recul critique. Quant à la première partie de votre question, je risque d’oublier beaucoup de noms. Alors, spontanément, je citerai plusieurs avocats tels Me Abderrahim Bouabid, Me Abderrahman Benameur ou Me Abelaaziz Bennani. J’ai aussi une pensée pour Omar Benjelloun, en tant que militant et qui fut son ami. J’évoquerai encore Me Abderrahim Jamaï avec lequel il a longtemps travaillé. Il faut aussi mentionner les militants de l’Association marocaine des droits humains. Alors, en quoi Abderrahim Berrada s’est-il distingué par rapport à d’autres ? Il aurait été gêné par cette question car il ne se sentait supérieur à personne. Je dirais qu’au-delà de sa rigueur, et de sa grande technicité en tant que juriste, il a su maintenir ses convictions des années 1960 jusqu’au début des années 2020. Il l’a payé cher, d’ailleurs.

Que révèle la trajectoire de sa vie sur l’histoire politique du Maroc ? Son parcours permet-il de bien comprendre les années de plomb, le fonctionnement réel de la justice en ce temps ?


La mémoire d’Abderrahim Berrada est très utile dans la mesure où elle rend compte, par le récit de ses expériences vécues, des attentes démocratiques d’une grande partie des Marocaines et des Marocains depuis la résistance à la colonisation jusqu’au règne de Hassan II. Ses souvenirs témoignent encore de manière circonstanciée des méthodes de répression qui ont brisé ces attentes. Au fil de ses mots, on revit ses rencontres avec Ben Barka, Omar Benjelloun, Bouabid, Assidon, Serfaty et bien d’autres. Dans ce livre, on le voit en action comme avocat plongé au coeur des grands procès des années 70 et 80. Avec lui, on ressent la dureté avec laquelle les prévenus politiques ont été traités. Ajoutons qu’Abderrahim Berrada apporte plusieurs informations peu connues sur tel ou tel événement important. À ce titre, le récit qu’il fait de son contact téléphonique avec le ministre de l’Intérieur Driss Basri, la veille de l’expulsion de Serfaty, est assez hallucinant. Enfin, son point de vue sur les reniements de certaines personnalités est aussi intéressant. Par ailleurs, en tant que juriste confronté à la pratique judiciaire des « années de plomb », il expose les dysfonctionnements d’une justice soumise au pouvoir politique. De plus, orateur hors pair et technicien aguerri du droit, l’avocat Berrada révèle les stratégies de défense auxquelles il a recouru. Par exemple, le récit qu’il fait des actions pour obtenir le retour d’Abraham Serfaty est édifiant. Un dernier mot : Abderrahim Berrada nous donne encore à réfléchir en proposant ses analyses du passé et ses espoirs pour demain.

Pourquoi a-t-il refusé le poste de ministre de la Justice ? Que cherchait-il à préserver en disant non : son indépendance, la cohérence de son engagement, ou une conception exigeante du métier d’avocat ?


Effectivement, après la tentative de putsch de 1971, les partis de la Koutla ont proposé à Abderrahim Berrada d’être sur la liste des ministrables, bien qu’il ne fût encarté nulle part. Les partis négociaient alors avec Hassan II en vue d’un gouvernement de transition. Il raconte cet épisode de manière drôle et vivante. Comme il a refusé de candidater au poste ministériel, chacun s’y est mis pour tenter de le convaincre : l’avocat Ali Benjelloun, proche de Guédira, puis Mahjoub Ben Seddik, secrétaire général de l’UMT, puis Abderrahim Bouabid, haut cadre de l’UNFP… Mais, Me Berrada est resté ferme sur sa position. Alors, pourquoi? Sans doute pour les trois raisons que vous avancez vous-même. En fait, il préférait le positionnement d’avocat militant de base. De plus, il était convaincu que Hassan II ne lui laisserait aucune liberté d’action. Enfin, je pense qu’il ne croyait pas dans la longévité de ce gouvernement de transition. La suite lui a donné raison.

Dans «Plaidoirie pour un Maroc laïque», Me Berrada fait de la séparation entre religion et pouvoir un enjeu central de la démocratie. En quoi considérait-il la laïcité comme une condition indispensable pour garantir les libertés au Maroc ?


Abderrahim Berrada estimait que seule la laïcité permet de respecter la liberté de conscience, constitutive des droits humains fondamentaux. Dans la mesure où il pensait que la démocratie ne peut advenir sans la consolidation de ces mêmes droits et libertés, il faisait donc de la laïcité l’une des conditions nécessaires de l’approfondissement de celle-ci. Dans la préface du livre que vous citez, la journaliste Hinde Taarji rappelle que l’intention d’Abderrahim a été d’ouvrir un débat utile à ses yeux, avec vigueur, précision juridique et respect.


À paraître le 10 décembre chez




samedi 29 novembre 2025

Economía del genocidio Économie du génocide Economics of the genocide اقتصاد الإبادة

 


Les pensions d’un Norvégien ou d’une Canadienne peuvent-elles contribuer au génocide à Gaza ?

Voici un nouvel épisode de l’économie du génocide, une série destinée à résumer le rapport de la rapporteuse des Nations unies, Francesca Albanese. Le génocide ne s’exécute pas seulement : il se finance. Et sans cet argent public et privé, la machine d’occupation ne pourrait pas se maintenir un seul jour.
Ces entreprises financent la dette israélienne, permettant son niveau exorbitant de dépenses en armement.
L’Union européenne ne peut pas continuer d’en être complice à travers ses banques, ses investissements ou son inaction politique.
Partagez cette vidéo pour que ne soit pas dissimulé le cheminement de l’argent qui alimente l’occupation.

Des banques comme BNP ou Barclays, des fonds d’investissement comme BlackRock, ainsi que d’autres entreprises internationales comme Vanguard ou Allianz, canalisent du capital vers des projets directement liés à des violations des droits humains, à la construction de colonies, à l’infrastructure militaire, à la surveillance de masse ou à l’exploitation de ressources volées.

Mais il n’y a pas que le secteur privé. Les fonds de pension du gouvernement norvégien ou du Québec investissaient dans certaines entreprises mentionnées dans le rapport — même si, bonne nouvelle, le Fonds norvégien a rectifié.

Albanese explique également comment la diaspora ultra-orthodoxe et des organisations de colons reçoivent des dons de plusieurs millions provenant des États-Unis et d’Europe, déductibles des impôts et destinés à maintenir et étendre les colonies illégales.

Quand nous parlons de génocide, nous parlons aussi de ceux qui le financent.

هل يمكن لمعاش تقاعدي يخصّ نرويجياً أو كندية أن يساهم في الإبادة الجماعية في غزة؟
هذه حلقة من سلسلة اقتصاد الإبادة الجماعية التي تلخّص تقرير مقررة الأمم المتحدة الخاصة، فرانشيسكا ألبانيزي. فالإبادة لا تُنفَّذ فحسب، بل تُموَّل أيضاً. ومن دون هذا المال العام والخاص، ما كانت آلة الاحتلال لتصمد يوماً واحداً.

بنوك مثل BNP وBarclays، وصناديق استثمارية مثل BlackRock، وشركات دولية أخرى مثل Vanguard وAllianz، توجّه رؤوس أموال نحو مشاريع مرتبطة مباشرة بانتهاكات حقوق الإنسان، وبناء المستوطنات، والبنية التحتية العسكرية، والمراقبة الشاملة، واستغلال الموارد المنهوبة.
هذه الشركات تموّل الدين الإسرائيلي وتتيح له مستوى إنفاق عسكرياً هائلاً.

وليس القطاع الخاص وحده المعني. فصناديق التقاعد التابعة لحكومتي النرويج وكيبك كانت تستثمر في شركات ورد ذكرها في التقرير — مع الإشارة إلى خبر جيّد: الصندوق النرويجي تراجع عن ذلك.

كما تشرح ألبانيزي كيف تتلقى الجاليات اليهودية المتشددة ومنظمات المستوطنين تبرعات بملايين الدولارات من الولايات المتحدة وأوروبا، تُخصم من الضرائب وتُخصَّص لدعم المستوطنات غير القانونية وتوسيعها.

عندما نتحدث عن الإبادة الجماعية، فإننا نتحدث أيضاً عن الذين يموّلونها.
ولا يمكن للاتحاد الأوروبي أن يستمر في التواطؤ عبر مصارفه واستثماراته أو عبر تقاعسه السياسي.
انشروا هذا الفيديو حتى لا يُخفى مسار الأموال التي تغذّي الاحتلال.

Can the pensions of a Norwegian man or a Canadian woman contribute to the genocide in Gaza?

This is an installment of the economics of genocide, a series summarizing the report of the UN Special Rapporteur, Francesca Albanese. Genocide is not only carried out — it is also financed. And without this public and private money, the machinery of occupation could not last a single day.
Banks such as BNP and Barclays, investment funds like BlackRock, and other international companies such as Vanguard or Allianz channel capital into projects directly linked to human rights violations, settlement construction, military infrastructure, mass surveillance, or the exploitation of stolen resources.
These companies are financing Israeli debt, enabling its exorbitant military spending.
When we speak of genocide, we are also speaking of those who finance it.
The European Union cannot continue to be complicit through its banks, its investments, or its political inaction.
Share this video so that the flow of money feeding the occupation is not hidden.

But it is not only the private sector. The pension funds of the Norwegian and Quebec governments were investing in companies mentioned in the report — though, good news, the Norwegian Fund has now reversed course.

Albanese also explains how the ultra-Orthodox diaspora and settler organizations receive multimillion-dollar donations from the United States and Europe, tax-deductible and aimed at sustaining and expanding illegal settlements.